Bienvenue chez Soignantes, le podcast dédié aux femmes de terrain.

Je suis Manon de Santé Académie et je vais vous accompagner tout au long des épisodes. Cela fait maintenant plus d’un an que nous formons des milliers d’IDEL, de médecins et de pharmaciens. À travers ce chiffre, ce sont surtout des échanges humains qui nous inspirent quotidiennement. C’est de là qu’est né ce podcast, un espace de partage et de transmission. Infirmières, aides-soignantes, sages-femmes, pharmaciennes, professeures ou spécialistes, vous découvrirez ici le parcours exceptionnel de ces femmes hors du commun.

Aujourd’hui j’accueille Isabelle. Elle fait partie des personnes avec qui on ne s’ennuie jamais. D’abord infirmière anesthésiste l’hôpital puis au SAMU, elle a été en première ligne de secours importants, comme l’effondrement du stade Furiani en 1992 ou le sauvetage des enfants dans les grottes de Sassenage. C’est à la suite d’une mauvaise chute en ski et d’une rencontre impromptue qu’elle découvre cette passion qui ne la quittera jamais : l’encadrement de secours de différents évènements sportifs.

Bolivie, Maroc, Lybie, Norvège, Australie et j’en passe, autant de pays visités que de rencontres et d’anecdotes. Au fil de ses différents récits, j’ai rapidement compris qu’une expérience comptait beaucoup plus dans sa vie : l’Ultra Trail Mont-Blanc. Imaginez une compétition sportive mythique, réunissant plus de 10 000 participants prêts à se surpasser dans un cadre époustouflant. En écoutant Isabelle, vous allez découvrir que toutes les routes ne sont pas tracées et que la chance, il faut savoir la saisir !

Comment passe-t-on d’un service d’anesthésie à la médicalisation d‘une course aussi emblématique que l’UTMB ? Comment compose-t-on une équipe fidèle de soins ? Quels sont les challenges quant à l’accompagnement ? Isabelle nous explique tout, sans détour !

Un parcours déterminé

Mon parcours est très bizarre. Quand j’ai fait mes études en sortant de terminale à 18 ans, j’ai voulu partir comme monitrice de ski. Ma mère m’a dit : « Non non non, ce n’est pas un métier pour les filles, tu reviens et je t’inscris à l’école d’infirmières. » Je n’en avais absolument pas envie, mais à l‘époque on obéissait à ses parents. C’est comme ça que je suis rentrée à l’école d’infirmières.

J’ai été en réanimation et j’ai découvert un métier absolument fabuleux.

J’ai découvert la grande vie, parce que je commençais à avoir le droit de sortir. Mais je ne me suis pas du tout intéressée à mon métier en première année. En deuxième année, une petite monitrice, toute petite, 1 mètre 50, un grand chignon, des grands talons, m’a dit : « Mademoiselle Pocaud*, vous allez aller en réanimation. » J’ai dit : « Ça jamais : voir du sang hors de question ! » Et puis, comme je l’ai dit tout à l’heure, à cette époque-là, on obéit. J’ai donc été en réanimation et j’ai découvert un métier absolument fabuleux. Je n’ai plus quitté ce monde de la réanimation d’urgence !

J’ai fait mon école d’infirmière. Après, j’ai ouvert un service de réanimation en banlieue parisienne, mais le ski m’appelait. Je suis partie sur Grenoble. De là, j’ai fait de la médecine de catastrophe et de la médecine d’urgence. J’ai passé mon diplôme d’infirmière-anesthésiste et j’ai travaillé au bloc opératoire. Après, je suis partie au SAMU de Grenoble où j’ai fini ma carrière avec le bonheur de pouvoir faire du ski. Voilà, j’avais rattrapé les deux. J’ai adoré mon métier ! Et maintenant, avec le diplôme que j’ai, je peux aller absolument partout.

Dans ce métier d’infirmière, chacun a une spécialité. Moi, ça a été l’urgence, l’anesthésie et la réanimation.

À l’époque, c’était deux ans et demi. La première année consistait à faire des pédiluves et des capiluves, c’est-à-dire à apprendre à laver des pieds et des cheveux. Le truc qui ne m’a jamais plu, quoi ! J’ai réussi la première année sans trop travailler puisqu’à l’époque, ce n’était pas compliqué. Aujourd’hui, on ne rentre pas à l’école d’infirmières sans travailler.

Dans ce métier d’infirmière, il y a de tout : des urgentistes, des gens qui s’occupent des personnes en maison de retraite, d’autres gens qui s’occupent des gens ayant le sida. Chacun a une spécialité. Moi, ça a été l’urgence, l’anesthésie et la réanimation.

« Infirmière anesthésiste diplômée d’État ». On est passé par tous les mots. On s’est appelé « infirmières aides anesthésistes », on a fait grève pour qu’ils nous augmentent et qu’on enlève le « aides ». Ils nous ont enlevé le « aides », mais ils ne nous ont pas augmentées. (Rires.) On s’est également fait appeler ISAR, pour Infirmiers Spécialisés en Anesthésie et Réanimation. Maintenant, on s’appelle des IADE pour Infirmiers Anesthésistes Diplômés d’État.

On a une spécialité de réanimation, d’anesthésie et de médecine d’urgence. Donc, les IADE travaillent dans les blocs opératoires pour endormir les gens, au SAMU ou en réanimation.

J’ai démarré par la réanimation, j’ai fait du bloc opératoire et j’ai fait du SAMU en même temps que je faisais des gardes au bloc opératoire. Donc oui, effectivement, j’ai toujours gardé un pied là-dedans.

« J’ai dû gérer le SAMU puisque l’infirmier local était décédé dans cet accident. Mais gérer du SAMU quand on ne connaît pas tout dès le départ, ce n’est pas facile. »

Les secours importants auxquels j’ai participé, c’est surtout quand j’étais au SAMU à Grenoble. Celui qui a peut-être marqué ma carrière c’était en 92, quand le stade Furiani qui s’est écroulé. C’est le SAMU de Paris qui est parti en premier, puis Montpellier puis enfin Grenoble. On n’était pas sur le terrain tout de suite, on est arrivé deux ou trois jours après. On était une équipe de six Grenoblois. On a été reçus comme des rois par les Corses. « Vous venez nous aider, vous êtes formidables ! »

J’ai eu la joie, on va dire, de survoler la Corse en hélicoptère. Mais on a géré beaucoup de blocs opératoires. Personnellement, j’ai dû gérer le SAMU puisque l’infirmier local était décédé dans cet accident. Mais gérer du SAMU quand on ne connaît pas tout dès le départ, ce n’est pas facile. Le soir, on allait endormir des gens et il y avait beaucoup de neurochirurgie.

À Grenoble, il y a eu beaucoup d’évènements vue la région. Je vous dis tout dans le désordre, mais il y a eu le car des Polonais qui s’est écroulé sur la route de Laffrey. Ça a été dramatique.

Il y aussi a eu l’avalanche des Orres avec les enfants et leurs deux guides. Il y a eu énormément de blessés. Ça a été très compliqué au niveau médical car il y a eu beaucoup de transferts. Dans tout cela, on n’a pas eu à gérer les familles, puisqu’elles n’étaient pas là.

On a aussi eu les noyades du Drac qui était sorti de son lit. Là, on a eu beaucoup d’enfants noyés et on avait les familles qui étaient à l’hôpital. Donc, non seulement on devait gérer des enfants qui n’allaient pas bien, mais on devait également gérer leurs familles.

« Ce sont des moments très compliqués. Après, il faut faire le vide. Chacun réagit différemment. »

Il y a eu les grottes de Sassenage, c’était assez merveilleux, mais c’était peu de temps après le Drac, donc on était tous très tendus. Des enfants étaient coincés avec un guide dans une pièce. Des spéléologues sont venus et nous attendions à l’extérieur. Quand on a su qu’il y avait la décrue, ça a été un soulagement terrible. On a passé la nuit complète : ils ont fini par faire sortir les enfants qui avaient tout de même de l’eau jusqu’au ventre.  Nous nous sommes occupés d’eux, on les a cocoonés. Heureusement, il n’y a pas eu de drame à la fin.

Ce jour-là, il s’est passé quelque chose de très drôle. Sur le moment, ce n’était pas très drôle évidemment… Il y avait un médecin du SAMU dont la femme était à l’intérieur car elle était institutrice. Elle est sortie en dernier et ils se sont tombés dans les bras, se sont fait un gros bisou sur la bouche et là, on a entendu des journalistes dire : « Et bien ils ne s’ennuient pas au SAMU ». Je me suis retournée et j’ai dit : « Mais Monsieur, c’est sa femme ! »

En tout cas ça s’est bien fini ! Ce sont des moments très compliqués. Après, il faut faire le vide. Chacun réagit différemment. Sur l’avalanche des Orres, j’ai beaucoup travaillé avec un médecin et un ambulancier.

On a tous réagi différemment : l’ambulancier parlait, parlait, parlait. Moi, j’avais besoin de silence et le médecin avait besoin de manger. Voilà, je pense qu’on était tous les trois dans les mêmes réactions, les mêmes douleurs, les mêmes fatigues, mais que chacun réagissait à sa façon.

J’ai fait une formation d’urgence vitale dans le milieu du trail, parce que c’est un domaine dans lequel je travaille depuis maintenant des années et je pense qu’il faut et qu’on peut toujours s’améliorer. On a appris la médecine spécifique du trailer, qui n’est pas forcément évidente pour quelqu’un qui ne fait que de l’anesthésie-réanimation de la vie de tous les jours.

On apprend des mots dont on a entendu parler en médecine comme « rhabdomyolyse ». Mais comment soigner une rhabdomyolyse ? Comment la gérer ? Comment la repérer sur un coureur ? Ce n’est pas forcément évident.

« C’est l’arrêt cardiaque qu’il faut savoir gérer dans le monde du trail. C’est ce geste-là qu’il faut connaître et savoir travailler dehors, en montagne, dans le froid, dans la pluie. »

On apprend des choses très spécifiques : les pathologies du coureur, les manières de réagir, l’hyponatrémie qui est nouveau dans le monde du trail depuis 2019. Et puis, la déshydratation. On n’en voit pas forcément dans la vie de tous les jours, mais c’est de la médecine qu’on retrouve dans la course. C’est pourquoi ce n’est pas anodin de médicaliser une course !

J’ai récemment participé à une course en tant que coureuse et il y a eu un arrêt cardiaque devant moi. La personne qui assurait médicalement la course était complètement perdue. Je l’ai aidée, bien évidemment, et elle m’a dit : « Mais on m’avait dit qu’il n’y aurait que des entorses à soigner. »

Si un coureur se fait une entorse, on va l’aider. Mais c’est l’arrêt cardiaque qu’il faut savoir gérer dans le monde du trail. C’est ce geste-là de la médecine du sport qu’il faut connaître et savoir travailler dehors, en montagne, dans le froid, dans la pluie.

D’une mauvaise chute à la médicalisation de L’UTMB

Comment j’en suis arrivée à faire ce que je fais aujourd’hui ? J’étais cadre au SAMU de Grenoble et j’ai fait une mauvaise chute en ski. Je me suis luxé le pouce. Je suis allée chez le kiné pour de la rééducation. Sincèrement, le kiné ne s’occupait pas trop de mon pouce. En revanche, il me montrait des belles photos de désert et de 4/4. Il me demandait sans arrêt si j’aimais le 4/4.

« Non ! Le 4/4, les dames qui montent sur le trottoir le samedi et les motos, ça ne m’intéresse pas. » Et puis un jour, je lui ai demandé pourquoi il me posait cette question. Il m’a répondu : « Est-ce que vous savez perfuser ? » Je le fais dix fois par jour. Il m’a ensuite demandé « Est-ce que vous savez intuber ? » Oui, dans mon métier on intube, on soigne le polytraumatisé et l’arrêt cardiaque. Il m’a alors dit : « Mais il faut que vous veniez dans mon équipe médicale. Vous verrez, ça sera très bien. »

« J’ai adoré vivre dans le désert, vivre autre chose, faire de la médecine en extérieur. »

Au début j’étais hésitante puis je me suis lancée car ça durait seulement une semaine. Il m’a donc emmenée dans le désert, dans cette équipe médicale où il y avait des médecins, des infirmiers et des pilotes. Finalement, je me suis vraiment régalée. J’ai adoré vivre dans le désert, vivre autre chose, faire de la médecine en extérieur. J’ai médicalisé ses courses, notamment le Shamrock, la petite sœur du Paris-Dakar.

J’ai rencontré de grands champions et j’ai pris beaucoup de plaisir, alors que je n’y connaissais strictement rien !

Environ 3 ans après, un mail a été envoyé à l’hôpital de Grenoble à tout le personnel. Ils cherchaient de l’aide pour médicaliser la course de l’UTMB à Chamonix. J’ai répondu à ce mail et j’ai été prise comme infirmière. C’était à l’époque où il n’y avait que deux courses : la CCC et l’UTMB.

« À l’époque, on préparait les sacs, on faisait le recrutement, on faisait la régulation, on faisait tout. »

J’ai beaucoup, beaucoup sympathisé avec Laurence Poletti, responsable de tout. Progressivement, elle m’a demandé de l’aider avec les infirmiers et comme on s’entendait très bien, je l’ai aidé dans le travail qu’elle effectuait déjà depuis des années. On a finalement travaillé toutes les deux pendant quelques années, mais l’augmentation de l’UTMB et des courses faisait qu’on était incapable de continuer.

À l’époque, on préparait les sacs, on faisait le recrutement, on faisait la régulation, on faisait tout. À un moment, il ne faut pas jouer avec la sécurité et on ne pouvait plus : c’était au-delà de nos compétences. L’UTMB a donc pris une Société Médicale qui gère les assurances, le matériel et la régulation, tandis que nous, avec Laurence, on a gardé le côté que j’appelle « cocooning », c’est-à-dire la DRH.

On s’occupe toujours du recrutement, on fait les plannings, on les envoie à tel endroit et on fait les équipes. Ça me prend énormément de travail pendant toute l’année.

« Ce n’est pas du tout la même chose de médicaliser des courses à pied et des courses de voitures. »

J’ai commencé avec les voitures dans le désert du Maroc, au sud de Laâyoune. J’ai découvert un petit peu l’Afrique. Dans les courses de voiture, quand on nous dit d’aller au check point suivant, il est à 200 km ! Ce n’est pas comme la course à pied, on découvre des paysages absolument extraordinaires.

Après, quand j’ai découvert le monde de la course à pied par l’UTMB, c’était différent. Si on vous envoie au check point suivant, c’est 20 km. Parfois vous y allez à pied, parfois vous y allez en voiture. Ce n’est pas du tout la même chose de médicaliser des courses à pied et des courses de voitures.

Pendant les courses de voitures, j’étais là en tant qu’infirmière de l’équipe mais il y avait toujours un médecin responsable. J’ai passé de très bons moments avec eux, mais ensuite, j’ai évolué dans mes soins.

Le fait d’avoir été à l’UTMB m’a permis de rencontrer énormément de coureurs et d’organisateurs, qui me demandaient ensuite si je pouvais les aider à monter une équipe médicale pour leurs propres courses.

Quand j’ai commencé les courses, les problèmes récurrents étaient les maux de tête ou les problèmes gastriques. Ça, c’est la vie de tous les jours. En revanche, on a eu un très grave accident une année : une voiture s’est retournée. On avait la chance d’avoir un hélicoptère, donc j’ai survolé des troupeaux de chameaux, et j’ai vu des images extraordinaires. On a vu la voiture retournée puis on a géré le soin exactement comme au SAMU. Ce sont les mêmes soins, le même matériel, les mêmes compétences. Au niveau des soins, c’est équivalent.

« On n’a pas forcément besoin d’aller dans les écoles, on a besoin d’aller au contact de ceux qui savent. »

Dans le cadre de la course à pied, les soins sont différents : on soigne des ampoules, par exemple. Moi, je n’avais jamais soigné d’ampoules aux pieds. Or, les ampoules, ce n’est pas anodin, ça peut être très grave ! J’ai donc été me former sur le tas avec des podologues.

Je me suis également formée avec des kinés qui m’ont appris des méthodes de massage de dos et de ventre. Souvent, le coureur a très mal au ventre car il a une nutrition un peu différente de son quotidien. Apprendre ça, c’était extraordinaire. Et comme quoi, on n’a pas forcément besoin d’aller dans les écoles, on a besoin d’aller au contact de ceux qui savent. Dans mes briefings aux infirmiers et aux médecins, j’ai pris le pli de leur dire d’aller voir les kinés et les podologues dès qu’ils ont un petit moment, pour apprendre de nouvelles choses.

J’ai commencé il y a maintenant une quinzaine d’années, donc j’avais déjà de la bouteille et de l’expérience grâce au SAMU, réa et anesthésie. Et il faut en avoir : il est hors de question de partir sur des courses quand on est infirmière diplômée depuis un ou deux ans. C’est mettre les gens en danger. C’est comme le SAMU, on ne prend pas des gens qui sortent du diplôme. Il faut d’abord apprendre le métier et après, on peut le faire.

Ça a toujours fait rire ma famille la question : « Est-ce que vous êtes sportive ? » J’étais et je suis toujours considérée comme la grande sportive de la famille. Ça me fait sourire parce que je ne suis pas une grande sportive. Certes je suis une grande skieuse, j’ai toujours très bien skié, mais comme je dis, ce n’est pas très fatigant quand on sait bien faire. Je me suis mise à la course à pied à la retraite, donc ça fait maintenant cinq ou six ans. Je suis une petite coureuse. Mon maximum c’est un 40 km en Turquie et le 42 km du marathon de New York, mais je ne suis pas une très grande sportive.

« L’UTMB, c’est 170 km avec presque 9 990 mètres de dénivelé. »

Après, il faut savoir que pour médicaliser la course de l’UTMB, on n’est pas forcés d’être des grands sportifs. C’est-à-dire qu’on a des points en montagne à monter avec du matériel et là, on ne met que les infirmiers ou les médecins qui disent être sportifs. Ceux qui sont moins sportifs, on peut les mettre dans un village. Cela dit, il faut tout de même savoir un peu courir parce qu’on peut avoir un problème d’un coureur à un kilomètre du village. S’il n’y a pas d’accès par la voiture, on y va en courant.

Comment décrire l’UTMB à quelqu’un qui ne connaîtrait pas ? D’abord, c’est le cadre, à mon avis, le plus magique. C’est-à-dire que si vous arrivez à Chamonix : le soleil, le Mont-Blanc devant vous, ce village de Chamonix avec ces gens complètement disparates, de toutes nationalités, des habits complètement différents. Déjà, dès le premier jour, on ne peut être qu’en extase face à Chamonix.

Je découvre l'épisode de Emma, infirmière puéricultrice

Après, au niveau de la course, les gens disent de l’UTMB que c’est une usine. Je n’aime pas ce mot : c’est une organisation extraordinaire. C’est vraiment rodé et huilé depuis des années. L’organisation qui a été montée est extraordinaire, aussi bien pour que les coureurs soient bien, en sécurité, soignés, rapatriés en bus ou qu’ils aient à manger, que pour les familles qui peuvent avoir des bus. Il y a eu beaucoup d’évolution par rapport à ça et je trouve que ce sont des courses sur une semaine absolument sublimes.

L’UTMB, c’est 170 km avec presque 9 990 mètres de dénivelé.

Mon rôle sur l’UTMB ? La première année, j’étais infirmière sur un poste. J’ai géré le poste et quand j’ai fini, j’ai demandé à Laurence Poletti où aller. En fait, on a envie de travailler quand on est là-bas. Je me souviens d’elle me dire : « Non, c’est fini. Tu peux venir te promener à Chamonix. » Et je me disais : « Mais moi, je veux continuer à travailler ! » Maintenant, j’ai des infirmiers qui me font les mêmes remarques : « Mais comment ? Je ne travaille pas tous les jours ? »

« Une certaine population vient pour le trail donc on s’occupe tout autant du spectateur qui peut faire un malaise. »

La deuxième année, j’ai travaillé avec Laurence Poletti à la préparation des sacs. Nous devions monter des équipes, les gérer puis les placer sur des plannings. Pendant les deux courses, on gérait toute la régulation. Ça a duré comme ça environ trois, quatre ans. Après, les autres courses se sont installées, donc une Société Médicale est arrivée. Maintenant, la Société Médicale s’occupe de toute la gestion de la course au niveau médical, de tout le matériel, des assurances et de toutes les autorisations de préfecture, c’est-à-dire des dossiers excessivement difficiles.

Elle s’occupe de la gestion médicale des coureurs, mais aussi de la population. Une certaine population vient pour le trail donc on s’occupe tout autant du spectateur qui peut faire un malaise.

Mon rôle est désormais de m’occuper des infirmiers, et celui de Laurence des médecins, c’est de la ressource humaine. Après, pour la gestion de plannings et la gestion des postes, on travaille énormément avec les responsables de l’UTMB. Ce n’est pas nous qui décidons de placer tel médecin ou te infirmier. En fait, nous faisons des réunions statistiques en reprenant les éléments de l’année précédente. S’il manquait quelqu’un à un poste, on va combler ce poste. S’il y avait quelqu’un en trop, on l’enlève.

En tout, c’est 60 infirmiers et 20 à 30 médecins, donc il faut les loger. Pour cela, on travaille avec la responsable des logements de l’UTMB. Comment on les loge ? Où est-ce qu’on les nourrit ? C’est tout un travail de collaboration avec l’équipe de l’UTMB qui est à Chamonix toute l’année.

Quand on faisait les sacs médicaux, on avait une liste. On devait avoir tant de médicaments, tant de compresses, etc. On regardait ce qu’il nous restait de l’année d’avant, on regardait les péremptions et de là, on partait à la pharmacie acheter le matériel et refaire le sac avec tant de compresses, tant de ciseaux, tant de laryngoscopes. Ça nous prenait un temps fou !

Maintenant, c’est la société et une fille extraordinaire, toujours souriante, qui nous amène tous les sacs et qui les refait pendant toute la semaine. Parce que si, sur un poste, on use le sac pour un blessé et que le sac est un peu vide, s’il y a une course après, il faut le refaire. Cette personne s’appelle Claire ! Elle nous les refait avec une gentillesse, un sourire. Elle ne dort jamais mais elle mange des bonbons. Claire, elle mange des bonbons !

La gestion du personnel n’est pas anodine :  on ne prend pas le premier CV qui nous arrive et en disant : « Chic, ça y est, j’ai 10 CV et je les prends ! » C’est toute une étude de dossier par rapport aux compétences, aux diplômes, à ce que les gens ont fait et en fonction de nos besoins.

On essaie de faire des équipes de médecins-infirmiers équilibrées. Si on met un infirmier tout seul, on privilégie les infirmiers-anesthésistes, par exemple. C’est vraiment une gestion du dossier qui n’est pas facile, mais qui est passionnante.

En tant que coordinatrice des infirmiers, je travaille énormément avec la Société Médicale. Quand j’ai le moindre doute sur un dossier, je demande. Un exemple typique, c’est quand je reçois des CV d’infirmières belges. Elles ont des diplômes d’infirmières que je ne connais pas bien donc j’appelle le directeur de la société pour m’aider. Il me demande le grade, etc. Je ne suis pas seule face à mes CV.

De manière générale, on travaille avec eux pour la répartition du personnel : on se retrouve autour d’une table et on discute. Combien de kinés ? Combien de podologues ? Combien d’infirmiers ? Parfois, ils veulent un homme qui a de la poigne à tel endroit spécifiquement difficile. C’est tout un art.

Les sacs sont constitués par la responsable du matériel, mais je demande toujours aux infirmiers de vérifier leur matériel. Si jamais il y a un manque, un travail s’effectue avec Claire. On voit comment on peut le rapatrier.

« J’ai vraiment un rôle que j’adore. J’adore ces infirmiers. J’adore ces médecins. J’adore le boulot qu’on fait. »

Parfois, certains ont des empêchements familiaux ou sont malades, donc il faut trouver des solutions. Pendant la semaine de l’UTMB, j’ai un téléphone greffé à mon oreille. On peut m’appeler pour me dire : « Allo Isabelle, il est 7 heures, je devais avoir une relève à 6 heures, comment ça se fait qu’elle n’est pas là ? » Parfois, je leur réponds de regarder le planning et d’appeler, mais parfois ils me disent qu’ils l’ont oublié… J’ai vraiment un rôle que j’adore. J’adore ces infirmiers. J’adore ces médecins. J’adore le boulot qu’on fait. C’est très chouette.

Sur l’UTMB, je suis moins en contact avec les coureurs, je suis plus dans la gestion. Cela dit, il m’est arrivée de faire des remplacements à l’infirmerie parce que l’infirmier n’avait pas déjeuné, par exemple. Je m’occupe aussi de la ligne de départ et je suis très présente sur la ligne d’arrivée pour voir si tout se passe bien. Il m’arrive également de dire à l’un ou l’autre : « Va te promener, je reste un peu. » En tout cas, je suis moins au contact du coureur que lorsque je pars faire des courses à l’étranger.

Dans les courses à l’étranger, on part avec un médecin et une infirmière ou trois médecins et trois infirmières et on fait une semaine de course avec eux et les coureurs. Là, sur l’UTMB, même l’infirmier qui est en poste, il voit passer le coureur. Il le soigne mais l’investissement n’est pas le même que sur des courses à étapes. Dans ce cas-là, on mange avec le coureur, on dort avec le coureur : on s’attache.

C’est moins le cas à l’UTMB mais il y a tout de même des très belles choses par rapport aux coureurs. Je me souviens d’avoir été à Trian* une fois parce que l’équipe avait un souci. Un coureur, amené par sa femme, n’allait pas bien du tout. Il était tout à fait dans les barrières horaires mais il était fatigué.

J’ai tout fait pour qu’il continue : il s’est reposé, s’est soigné, a bu la soupe, bref le cocooning, comme je l’appelle. Quand je suis sortie de l’infirmerie, sa femme voulait absolument le ramener à la maison. Je lui ai maintenu que non, il allait continuer la course ! Elle m’a pourrie, mais pourrie… Je pense qu’elle voulait rentrer et qu’elle avait peur. Finalement, le coureur a fini et m’a téléphoné. Il m’a passé sa femme qui m’a dit : « Je vous prie de m’excuser de vous avoir grondée, je vous remercie beaucoup. » C’est ça qui est chouette, je garde des bons souvenirs de ces moments !

« Finalement, on ne commence pas une préparation de l’UTMB, je dirais plutôt qu’on ne l’arrête jamais ! »

 Comment se prépare une course d’une année à l’autre ? C’est compliqué parce qu’en fait, on n’arrête jamais. À peine finie la semaine de l’UTMB, on demande déjà aux infirmiers, médecins et secouristes de nous envoyer un petit mot pour nous dire tout ce qui n’a pas été. On commence tout de suite à analyser les données envoyées et à travailler sur toutes les améliorations possibles avec la Société Médicale et l’ensemble du personnel.

En novembre on commence à mettre en place les changements. En janvier, il y a les inscriptions qui arrivent et ça démarre. Finalement, on ne commence pas une préparation de l’UTMB, je dirais plutôt qu’on ne l’arrête jamais !

Comment fait-on pour gérer un staff médical et le placer ? Je répondrais que c’est à force d’expérience. Ça fait tout de même des années qu’on le fait et qu’on étudie tout de suite ce qui s’est passé sur l’année.

Je me souviens d’une année à Bourg-Saint-Maurice où on avait mis deux infirmières et pas de médecin puisqu’on avait le médecin du village de Bourg-Saint-Maurice en cas de problème. On a senti tout de suite que c’était compliqué parce que le médecin faisait aussi tourner son cabinet pendant ce temps-là.

D’emblée, on analyse et on sait que pour l’année d’après, à tel endroit, on mettra un médecin. On sait qu’à tel endroit, les infirmiers ont fait des ampoules toute la journée donc on mettra des podologues. Sachant que si l’infirmier fait des ampoules, c’est parce qu’il n’y a pas d’urgence vitale à côté. Il y aura toujours la priorité pour l’urgence vitale. Le coureur qui arrive pour ces ampoules se débrouillera tout seul s’il n’y a pas de podologue et si l’infirmier est occupé.

Si on place un médecin plutôt jeune, on le met avec un infirmier qui a de la bouteille. Avec Laurence Poletti on travaille vraiment nos plannings ensemble. Si elle a un médecin généraliste qui a de la bouteille au niveau de la médecine, mais peut-être moins au niveau des gestes techniques, alors on discute pour lui mettre un infirmier qui connaît bien les gestes techniques. C’est tout un travail en amont qui est très important.

On essaie, je dis bien qu’on essaie car on n’y arrive pas toujours, de laisser les copains ensemble. Parce que c’est aussi une semaine de plaisir. Le problème, c’est qu’on devient tellement tous copains que tout le monde veut être ensemble ! Et malheureusement, ce n’est pas possible. En tout cas, on essaie au maximum que les gens aient envie de venir sur l’UTMB et ça marche très bien. C’est une belle semaine.

Je refuse des bénévoles infirmiers, c’est évident. Je pense que le responsable des bénévoles en cherche tout le temps. Cette année, c’est plus compliqué avec le Covid parce que le personnel médical est vraiment fatigué, ne sait pas ce qu’il aura comme vacances cet été, ne sait pas comment la Xième vague de Covid va démarrer. Les gens ont fait beaucoup d’heures supplémentaires donc cette année on a plus de mal à faire les plannings. J’avoue qu’on ressent la fatigue des hospitaliers.

« Il y a toujours un infirmier et un médecin sur la ligne de départ. »

Il y a toujours un infirmier sur la ligne de départ des courses du lundi, du mardi et du mercredi et un médecin, parce qu’il peut se passer tout et n’importe quoi.

On gère aussi la foule. En effet, on ne gère pas que le coureur qui va démarrer. Sur l’UTMB, il faut savoir que des milliers de personnes sont là le vendredi après-midi.

Depuis quelques années, pour anticiper tout danger, la préfecture a exigé qu’on augmente nos équipes de départ. Certains sont sur la ligne de départ, d’autres au-dessus, au niveau de l’église, d’autres encore sont au premier virage et les derniers vont jusqu’au bout de la Grand-Rue. On travaille avec des radios au cas où il y aurait un problème aussi bien dans la foule que chez les coureurs.

Pour la ligne d’arrivée, c’est exactement pareil sauf qu’on récupère des coureurs qui sont épuisés, qui décompensent et qui font parfois des malaises. On travaille donc avec une équipe qui reste sur la ligne d’arrivée : secouristes et infirmiers. 50 mètres au-dessus, on a une petite tente médicale dans lequel il y a des infirmiers et des médecins.

Pendant la course, selon les étapes et les villages, en fonction du plan social, il n’y a parfois que des médecins, parfois que des infirmiers ou un mélange des deux. Selon les endroits, il peut aussi y avoir des secouristes. Ils sont d’une grande utilité quand il faut aller chercher un blessé à 200 mètres, par exemple. Ils nous aident énormément dans la mobilisation et sont très présents avec nous sur les gestes de premiers secours.

« C’est toujours la même équipe donc quand je les vois, j’ai l’impression de ne plus avoir de boulot. Je ne leur explique plus rien : ils savent tout et c’est extraordinaire. »

En règle générale, je retrouve toujours 80 % des infirmiers de l’année précédente. Il reste toujours 20 % de ceux qui ont des imprévus et qu’il faut remplacer. C’est très agréable d’avoir autant d’anciens ! Notamment parce que certains endroits sont compliqués, comme le Grand Col Ferret, qui nécessite une marche très difficile. C’est toujours la même équipe donc quand je les vois, j’ai l’impression de ne plus avoir de boulot. Je ne leur explique plus rien : ils savent tout et c’est extraordinaire. Pour moi, c’est beaucoup plus facile et la Société Médicale les y place d’emblée. Il n’y a pas de souci, ils savent qu’ils connaissent le terrain et qu’ils vont se mettre au bon endroit.

Est-ce que je préfère l’UTMB où je gère plutôt de l’organisationnel que les courses où je suis dans le soin ? J’aime les deux. Sur Chamonix, je vais souvent aider à droite, à gauche. Dans les courses, dans le désert ça me fait plaisir de soigner les coureurs. J’aime ça. Quand parfois l’organisateur me dit : « Cette semaine, vous n’avez pas beaucoup travaillé. » Je me dis tant mieux, mais quand même ça m’a manqué un petit peu, car c’est chouette.

« Je ne suis pas une grande coureuse, mais je suis finisher. »

C’est tellement chouette d’avoir le coureur qui arrive à l’avant-dernier CP et qui vous dit : « Isa, j’abandonne, j’abandonne. » Vous faites semblant de ne pas l’écouter, vous lui dites de s’asseoir, vous lui amener une soupe, vous lui demandez s’il a mal aux pieds, vous lui soignez les pieds. Pendant ce temps-là, il boit sa soupe, il s’endort un peu sur sa chaise.

Puis, une fois que vous avez fini de lui soigner les pieds, vous lui dites : « Allez maintenant, Claude, tu démarres ! »  Même s’il refuse, j’insiste : : « Mais Claude, t’as mangé ? » « – Oui » « – Tu n’as plus mal aux pieds ? » « – Non » « – Alors maintenant tu démarres ! » Et il finit sa course. Ça, c’est un plaisir. Moi, j’ai toujours dit que j’étais dix fois finisher. Je ne suis pas une grande coureuse, mais je suis finisher.

Quand on n’est pas bien en course et qu’on arrive à boire une petite soupe chaude parce qu’on a eu froid, c’est que tout va passer. Je préconise toujours de boire une soupe et d’oublier le jambon, les abricots, ou quoi que ce soit. Qu’il soit 4 heures du matin ou 8 heures, il faut prendre de la soupe.

Qui compose le staff médical ? Tout en haut, il y a la Société Médicale. Ils sont professionnels, c’est leur métier. Au sein de cette société, on retrouve le directeur médical, le directeur technique de la société et Claire qui s’occupe de tout.

Ensuite, il y a Laurence qui s’occupe des médecins, entre 20 et 30. Pour ma part, je m’occupe d’une soixantaine d’infirmiers et il y a Rémi, qui s’occupe d’environ 40 à 50 secouristes. Voilà de quoi est constituée l’équipe médicale. Ils prennent des médecins italiens et suisses supplémentaires et Rémi travaille aussi avec des secouristes des vallées, issus de différentes sociétés.

Les kinés sont gérés par Aurélie et les podologues par Olivier. Ils sont mari et femme, mais ils ont chacun leur métier. Je ne pourrais pas vous dire combien ils ont de kinés et de podologues, mais je dirais une quarantaine. Voilà toute l’équipe médicale. Donc à mon avis, on n’est pas loin de 200.

« On a de gros moyens qui font qu’on travaille vraiment dans de bonnes conditions. »

Il faut savoir qu’on est en France, on peut donc compter sur l’hôpital de Chamonix et de Sallanches. S’il y a besoin, on travaille avec le SAMU qui est parfaitement au courant de la course et la société fait des conventions avec eux. On n’est pas non plus à l’autre bout du monde, donc on ne va pas mettre des radiologues avec nous, ça ne servirait à rien. S’il y a besoin d’évacuer les patients, on a un hélicoptère qui nous aide et qui les emmène à Sallanches. Il nous aide également en amont de la course pour monter le matériel.

Par ailleurs, on a une ambulance sur Chamonix qui fait beaucoup de transferts. Entre la ligne d’arrivée et l’infirmerie, il y a environ 800 mètres mais si un coureur s’écroule à l’arrivée, il ne peut pas aller à l’infirmerie sur ses petites jambes, donc on a une ambulance. En règle générale, on a différents véhicules, par exemple des 4/4 qui nous permettent d’emmener le personnel. On a de gros moyens qui font qu’on travaille vraiment dans de bonnes conditions.

Au niveau matériel, on a tout ce qu’il faut pour la bobologie comme pour la médecine d’urgence. Maintenant, on a même un petit laboratoire qui nous permet de voir si le patient est en hyponatrémie. On peut faire des prises de sang, avoir le taux d’hémoglobine et le taux de sucre des coureurs. Certes, on n’aura peut-être pas tous les appareils tout en haut du Grand Col Ferret, mais sur Chamonix, on a des échographes et du bon matériel.

« On essaye d’avoir du personnel médical à peu près tous les 20 km, sans surmédicaliser. »

La gestion de la dépose du personnel, c’est un gros travail en en amont. On essaye d’avoir du personnel médical à peu près tous les 20 km, sans surmédicaliser. Sur la course du lundi de 40 km, on a diminué nos effectifs parce qu’on était trop. Finalement, ce n’est pas la peine d’avoir 20 médecins et 20 infirmiers sur une telle course. Il faut rester réaliste et coller aux besoins réels.

Cela dit, tous les postes de secours permettent la gestion de n’importe quel blessé car les sacs sont faits en conséquence. Par exemple, si on a un poste infirmier/médecin, il y aura deux sacs : le sac infirmier et le sac médecin. Pourquoi a-t-on différencié les deux ? Parce que le médecin peut partir à droite et l’infirmier à gauche. On a également un sac de réserve de matériel.

Le matériel lourd est monté en montagne en amont, pour que les affaires soient déjà en haut. Mais les infirmiers, les médecins et les secouristes doivent quand même parfois monter avec des sacs très lourds. En effet, ils ont le défibrillateur, la bouteille d’oxygène qui n’a pas pu être montée par hélicoptère ou la sacoche qui a été oubliée, par exemple. Il faut des gens un peu costauds, dans ce cas.

J’ai le souvenir de Luc qui était monté avec son sac devant, contenant ses affaires chaudes, et un sac médical derrière. Il s’en souvient bien ! (Rires.) Mais bon, ils sont costauds, ils sont contents et ça ne râle pas. On essaye tout de même de faire au mieux pour qu’ils aient le moins de choses à monter, mais le défibrillateur, ce n’est pas quelque chose qu’on peut laisser en montagne trois jours avant, par exemple. C’est du matériel qu’il faut vérifier juste avant de le donner, donc il ne peut pas être hélitreuillé.

« On est fatigués, mais c’est de la très bonne fatigue. On s’est sentis utiles et on a passé une bonne semaine. »

Concernant le planning d’une semaine, prenons l’exemple de Madame Lambda. Le samedi, elle va commencer à m’aider sur la logistique. Le lundi, elle sera sur la MCC. Le mercredi, elle va faire un poste : elle montera sur la TDS puis elle redescendra. Après, il y a la CCC de l’UTMB où deux courses passent au même endroit.

Pour tous les postes en montagne, je laisse les mêmes personnes. Mais c’est aussi parce qu’elles aiment y être et qu’elles veulent y rester ! Personnellement, ça m’arrange, parce que ça m’évite des déplacements. En effet, ça évite d’emmener des gens, de les ramener, etc. Et surtout, le personnel aime bien rester en montagne en attendant les deux courses. Ils reviennent bien fatigués quand même. Je leur dis toujours : « Ne prenez pas une garde le lundi soir dans votre hôpital après l’UTMB. » On est fatigués, mais c’est de la très bonne fatigue. On s’est sentis utiles et on a passé une bonne semaine.

Je découvre l'épisode du Docteur Gesson Paute, chirurgienne spécialisée dans le cancer du sein

Quelles pathologies trouve-t-on sur une course que ce soit sur l’UTMB ou les autres ? Beaucoup de pathologies gastriques, parce que le coureur a une alimentation différente et qu’il pleut ou qu’il a eu froid. Les maux de tête sont un peu moins courants, aussi parce que le coureur sait les gérer.

On a beaucoup d’ampoules aux pieds. Ce qui est très étonnant, c’est que le coureur ne sait pas gérer ses pieds. C’est souvent renforcé par un problème de souplesse et de fatigue. Dans les grosses pathologies, on a la déshydratation, en fonction de la météo. On a eu des éditions excessivement chaudes.

Enfin, le gros problème, c’est quand le coureur fait ce qu’on appelle une rhabdomyolyse, c’est-à-dire qu’il s’abîme le rein. Pendant la course, le rein est sollicité. Mais il suffit que le coureur ne soit pas très bien un peu avant la course et qu’il ait pris des anti-inflammatoires pour que le rein se bloque. En effet, les anti-inflammatoires font travailler le rein.

« S’il y a un message qu’on peut faire passer au niveau médical : ne prenez pas d’anti-inflammatoires quand vous êtes en course. »

C’est vraiment une pathologie qu’on voit de plus en plus dans les courses parce que les coureurs se font une mauvaise automédication. Après, il se trouvent en anurie et on est obligés de les arrêter pour les envoyer en réanimation. Quasiment tous les ans, on a un coureur qui part en réanimation se faire dialyser parce que son rein ne marche plus.

Donc s’il y a un message qu’on peut faire passer au niveau médical : ne prenez pas d’anti-inflammatoires quand vous êtes en course, votre rein va travailler trop et devenir malade.

La dernière pathologie qu’on rencontre de plus en plus, c’est l’hyponatrémie.  Pendant des années, le coureur ne buvait pas. Puis, on lui a dit qu’il fallait boire toutes les dix minutes, puis, qu’il fallait boire un litre. On a vu passer toutes les règles possibles au niveau de la boisson. Il y a des époques où on disait qu’il fallait boire un maximum. Comme certains coureurs sont obéissants, ils buvaient énormément, à tel point que leur sang était dilué et qu’ils se retrouvaient en hyponatrémie. Ça peut mener au malaise et ensuite aller très loin donc maintenant on essaye d’expliquer qu’il faut boire à sa soif. Vous savez, ça évolue dans la médecine. Buvez à votre soif, mais ne prenez pas de retard.

Comment savoir s’il faut arrêter un coureur ? C’est très compliqué. Cela dit, même si on est seul sur un poste, on n’est jamais seul puisqu’on a la régulation en permanence. De fait, si on a le moindre doute on appelle le médecin régulateur. On lui donne la thématique et il nous confirme ou non si le coureur peut repartir. On n’est jamais laissé seul dans le doute.

« Il faut qu’on soit sévère, dans le médical. On ne peut pas faire de cadeaux car c’est la santé qui est en jeu. »

 Un jour, on m’a appelée pour venir perfuser un coureur. Je suis arrivée et le coureur était en train de manger sa soupe. Pourquoi le perfuser ? Il va manger sa soupe et ça va lui faire du bien. J’ai donc refusé de le perfuser. En fait, on essaye d’être le moins traumatique possible.

Mais alors, sur quels critères peut-on dire qu’on arrête ? Bien évidemment, tous les problèmes traumatiques : quand le coureur ne peut absolument plus bouger, par exemple. À partir du moment où on décide de mettre une perfusion, on ne fait pas redémarrer un coureur.

Et pour l’anecdote, je peux en parler parce qu’il l’a dit officiellement, j’étais sur le Cap Vert avec François Dens. Il souffrait de crampes : je suis arrivée tout de suite pour l’aider. Au début, on m’a dit qu’il n’allait pas bien mais je ne savais pas du tout que c’était des crampes. Sur le coup il était dans le temps des barrières horaires et avait une crampe. Or, ce n’est pas une urgence vitale. S’il veut repartir avec ses crampes, il repart. Sa femme m’a avoué lendemain qu’il n’avait qu’une peur, c’est que je ne le laisse pas repartir !

Il faut donc mesurer quand on accepte de laisser le coureur repartir et se demander s’il en est capable ou non. Dans le cas de François Dens, il a eu l’intelligence de se reposer pendant quelques heures et il a pu repartir, mais c’est lui qui a pris cette décision.

En revanche, si quelqu’un arrive vers moi et me dit : « Je n’ai pas bu depuis quatre heures, je n’ai pas fait pipi » et qu’il revient avec un échantillon de pipi tout rouge, je ne discute pas et je lui dis non. Il doit arrêter la course et on ne discute pas.

Je peux être très gentille mais il faut qu’on soit sévère, dans le médical. On ne peut pas faire de cadeaux car c’est la santé qui est en jeu. À chaque fois que j’ai dû arrêter des coureurs, c’est que c’était vraiment justifié.

« Les coureurs préparent leur course depuis parfois des années, donc ce n’est pas anodin de les arrêter : il faut vraiment y réfléchir. »

Je me souviens d’avoir appelé la régulation parce que j’étais dans le doute, une fois. Je ne sais plus quel problème avait le coureur mais j’ai beaucoup discuté avec le médecin régulateur. Finalement, le coureur est reparti. Les coureurs préparent leur course depuis parfois des années, donc ce n’est pas anodin de les arrêter : il faut vraiment y réfléchir.

J’adore quand un coureur arrive fatigué, parce qu’on fait tout pour qu’il reparte. Ça se passe souvent dans la tête, c’est le moral.  Dans ces cas-là c’est facile, on sait qu’il peut repartir, donc on fait tout pour.

Comment fait-on quand on a des coureurs qui se font mal sur une portion de parcours qui est entre deux équipes médicales ? C’est relativement facile. D’abord, tous les coureurs ont l’obligation d’avoir un téléphone international. Ensuite, ils ont tous sur leur dossard le numéro de la régulation. Ils peuvent donc appeler la régulation. S’ils ne sont pas en mesure d’appeler, le coureur de derrière, qui passe par là, a l’obligation de s’arrêter et de porter secours.

Ils appellent systématiquement la régulation. De notre côté, on localise le coureur tout de suite parce qu’il a une puce. On sait très bien où il est et en fonction de sa position on va envoyer soit le secouriste en amont, soit le secouriste en aval. Si on sait d’emblée que c’est très compliqué pour y aller et que c’est grave, on envoie l’hélicoptère. Finalement, il y a toutes sortes de faisabilité.

On demande toujours aux coureurs de ne jamais abandonner entre deux sections, s’il s’agit d’un abandon pour fatigue. Mais s’ils se cassent la jambe entre deux sections, on fait venir des secouristes. D’où l’intérêt d’en avoir : ils vont partir en premier avec du matériel pour pouvoir porter le coureur. Ça nous arrive relativement souvent. C’est pour ça que je dis que les secouristes sont beaucoup plus sportifs que les infirmiers. C’est évident : ils portent, ils courent, ils ont un boulot sportif.

« Ce sont des équipes qui travaillent ensemble et qui peuvent compter les unes sur les autres. »

Comment arrive-t-on à entrecouper toutes ces professions ? La Société Médicale gère la régulation et il y a toujours un médecin régulateur derrière les micros de la régulation. On sait qu’on aura toujours un médecin car ils se relaient entre eux.

Chez nous, au niveau des chefs, il y en a un pour chaque poste : médecin, infirmier, podologue, kiné et secouriste. La gestion des partages se fait en équipe. Parfois, si un poste est composé de secouristes, de médecins et d’infirmiers, ils partent tous ensemble. Ce n’est pas du tout de la divulgation, ce sont des équipes qui travaillent ensemble et qui peuvent compter les unes sur les autres.

On a des téléphones, des radios et une bonne équipe de soins. Pour ma part chez les infirmiers, il faut que ce soit des gens que je connaisse. S’il y a des nouveaux, je ne les laisse jamais seuls la première année, parce que c’est un métier qu’on peut ne pas toujours forcément bien faire. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Pour créer une bonne équipe, il faut donc mélanger les nouveaux et les anciens pour qu’au moindre souci, l’ancien puisse aider, expliquer et gérer certaines choses afin de ne pas mettre le nouveau en difficulté.

Concernant les diplômes, je ne prends que des personnes diplômées et qui savent faire de la médecine d’urgence. Tout le monde est donc au même niveau du diplôme, mais il y a un mélange d’anciens et de nouveaux.

J’essaie de le faire quand je peux, même si parfois c’est compliqué. Si je suis vraiment obligée de mettre un nouveau tout seul comme infirmier, il sera avec un médecin ancien et réciproquement. Et si vraiment je n’ai pas de possibilité, je vois avec Rémi qui gère les secouristes s’il met des anciens ou des nouveaux. On travaille beaucoup comme ça et je pense que c’est pour ça que ça marche bien.

Est-ce compliqué comme organisation ? Oui ! On ne peut pas mettre tout le monde avec ses copains. D’autant plus que tous les anciens sont tous copains, donc ce n’est pas possible. Il faut que je mélange des anciens et des nouveaux.

Est-ce que j’ai des qualités particulières pour médicaliser ? Je ne sais pas si elles sont particulières, mais ce sont les mêmes qualités qu’il faut avoir dans son travail d’infirmier. En premier, c’est la passion du métier. Je pense que si on n’a plus la flamme du métier, ce n’est pas la peine.

Après, il faut beaucoup de professionnalisme et de rigueur. Parce que oui, c’est du loisir, mais nous, au niveau médical, on est vraiment des gens rigoureux. Dans mes briefings, je fais toujours sourire le médecin responsable de la société qui s’amuse à dire : « Isabelle va vous parler de l’hygiène. » Il sourit mais il est conscient que c’est important.

Et puis, je pense qu’il faut beaucoup d’empathie et aimer les gens. On demande à ces médecins, infirmiers, secouristes de faire un boulot qu’ils ne feraient pas dans la vraie vie. Parfois ils ont travaillé toute la nuit et le lendemain matin j’ai un souci à l’infirmerie et ils me reprennent le poste pendant deux heures.

Il y a un échange : moi, je les aime et eux, ils m’aiment. Et ça, ça marche bien.

« En premier, c’est la passion du métier. Après, il faut beaucoup de professionnalisme et de rigueur. Et puis, je pense qu’il faut beaucoup d’empathie et aimer les gens. »

Tous les organisateurs avec qui je travaille ou j’ai travaillé par le passé ont une sécurité exemplaire. Si je pars avec un organisateur dont je ne sentais pas la sécurité médicale, j’arrête de travailler avec lui. C’est très clair.

On engage notre diplôme et notre responsabilité mais si en face on a un organisateur qui nous ne donne pas les moyens de travailler dans des bonnes conditions, ce n’est pas acceptable. Il faut avoir des téléphones, pouvoir se joindre entre équipes médicales, avoir des voitures pour se déplacer, avoir le matériel nécessaire. Si on ne peut pas nous fournir ça, je ne travaille pas avec cet organisateur. Avec le temps, je me suis fait mon listing des personnes avec qui je travaille. Parce que la sécurité, c’est trop important.

Est-ce que j’ai déjà eu des frayeurs dans le désert ? Oui. Je peux parler de ce qui est arrivé à Roberto Zonda, il a même écrit un livre dessus. Il venait de se faire doubler par une fille et il arrivé à mon CP en me disant qu’il avait très mal au ventre. Avoir mal au ventre, c’est tout de même très courant dans ces trails.

Je lui ai dit de se reposer. Au départ, il n’avait pas le ventre dur et puis il s’est endormi. Dans son sommeil, j’ai vraiment vu qu’il souffrait. De là, je l’ai examiné et il commençait à avoir le ventre très dur. Ce n’était vraiment pas normal, il vomissait.

C’était en Égypte, l’organisateur est venu me voir. Il fallait vraiment l’évacuer car ça n’allait pas donc l’organisateur m’a proposé d’envoyer un hélicoptère. J’ai dit oui, bien sûr ! Il est revenu une heure après, mais j’avais oublié que l’on était en Égypte et il m’a dit qu’il fallait payer. Je lui ai dit que l’organisateur de la course allait payer et qu’il fallait qu’il m’envoie l’hélicoptère rapidement car ça devenait vraiment urgent.

« Bon, je me dis que son premier sauvetage, c’était moi, et je suis contente de l’avoir sorti de là. Ce sont des souvenirs qui restent. »

En fait, une heure après, il est venu me dire que non, il n’y avait pas d’hélicoptère. Il m’a parlé alors d’un très mauvais hôpital à 40 km et d’un moins mauvais à 100 km. On devait foncer vers le plus près. J’ai endormi le coureur pour le transporter jusqu’à l’hôpital.

Arrivé là-bas, il y avait des cathéters qui traînaient par terre, c’était gris, noir, l’horreur… J’avais administré des antalgiques au coureur, il avait donc un peu moins mal et les médecins en ont profité pour lui demander s’il était allé à la selle récemment. Comme ça faisait quatre jours, ils ont dit qu’il était constipé. J’avais beau dire que non, que même s’il n’avait pas été à la selle depuis quatre jours, il y avait l’alimentation et la course…

Mais la communication était compliquée ! Les médecins de là-bas ne me parlait pas parce que j’étais une femme. Ils parlaient en arabe aux responsables égyptiens, qui me traduisaient ensuite les propos en anglais.

Finalement, ils lui ont fait un microlax. Le pauvre, ça a été terrible. Le lendemain, il avait 40 de fièvre.  Il fallait l’opérer d’urgence. Quand les médecins sont venus l’opérer, je leur ai demandé s’ils avaient déjà fait ce genre d’opérations. Ils ont répondu oui… J’ai demandé à assister à l’opération et je crois que c’est le plus mauvais souvenir de ma vie.

Ils ont d’abord arraché la perfusion que j’avais posée pour le faire marcher jusqu’au bloc opératoire. Le bloc, c’était une table en bois, ils chassaient les mouches. Il y avait cinquante personnes dans cette salle, parce que je pense que c’était l’intervention de l’année. C’était une catastrophe, j’ai vraiment cru le perdre. Vraiment. Mais je ne pouvais pas intervenir parce que c’était les Égyptiens qui travaillaient.

Le chirurgien lui avait fait une rachianesthésie, mais pas assez forte, donc il hurlait de douleur. Le chirurgien m’a regardée et m’a dit : « Il a peur. » j’ai dit : « Non, il n’a pas peur, il a mal. » Il a fait un malaise tellement il a eu mal. Mais il s’en est sorti.

Il est extraordinaire ! Le lendemain, il avait 41 de fièvre. J’ai hurlé, j’ai dit qu’il fallait l’envoyer au Caire, qu’on ne pouvait pas rester là, qu’il fallait le faire monter dans une ambulance. Arrivés au Caire, ça faisait trois jours que je ne dormais pas et je n’en pouvais plus. Je vois le médecin et je lui explique en anglais ce qu’il s’était passé : l’opération qui avait eu lieu, la nouvelle opération à faire, enlever la lame, etc. J’étais tellement fatiguée que je parlais à un rythme fou ! Là, le médecin m’a dit : « Vous voulez me parler en français ? » Ah, je crois que je l’aurais embrassé.

Après cela, ce médecin l’a opéré et il a été sauvé. C’est extraordinaire. Roberto m’en parle encore. C’est lui qui, après, dans la grande course du Yukon de 670 km, a eu les mains et les pieds gelés. Il a été amputé mais il a toujours cette force en lui de continuer le trail. Bon, je me dis que son premier sauvetage, c’était moi, et je suis contente de l’avoir sorti de là. Ce sont des souvenirs qui restent.

Une des frayeurs j’ai pu avoir n’avait rien à voir avec la course, c’était un accident de voiture. On s’est poussé légèrement pour regarder le coureur, sauf qu’on a mis une roue dans le fossé. La voiture a été coincée sur le côté, au-dessus d’un ravin.

Le chauffeur a vité été évacué, mais on ne pouvait pas ouvrir les portes du bas, parce que c’était une voiture à deux portes. J’étais derrière. Comme on conduisait à droite, je me suis dit que lorsque celle devant moi, à gauche, allait sortir, la voiture aller tomber.

Finalement elle est sortie et ils m’ont tirée de la voiture. La voiture n’est jamais tombée, mais quand les coureurs passaient devant cette voiture… C’était impressionnant ! Mais ça, c’est la vie, des accidents, on peut en avoir de partout, ce n’est pas lié au trail.

« Pour ce qu’on connaît à l’UTMB, le directeur de course et le directeur médical travaillent beaucoup avec un météorologue. »

Il y a eu un drame en Chine. On a tous été très touchés. Touchés d’abord pour les coureurs qui sont décédés, puis pour l’équipe d’organisation. Je ne les connaissais pas donc je ne me permettrais certainement pas de juger. J’ai lu trop de choses dans la presse de gens qui n’y connaissaient rien, donc je ne porterai aucun jugement.

Je dirais juste, pour ce qu’on connaît à l’UTMB, que le directeur de course et le directeur médical travaillent beaucoup avec un météorologue. Ils sont en permanence avec eux et savent exactement ce qu’il va se passer. On nous tenait au courant : à telle heure il va y avoir un orage à tel endroit. C’est tout de même extraordinaire. Certaines années on a dû dévier la course, d’autres années on a dû arrêter la course pendant une heure parce qu’on savait qu’il y allait avoir un orage.

Je crois que le travail qui est fait sur l’UTMB est énorme au niveau de la météo. Après, il y a aussi un énorme travail sur le matériel obligatoire du coureur. Il y a des normes concernant le matériel obligatoire, par exemple : prendre une couverture de survie. À l’époque, on ne précisait pas la mesure de la couverture de survie, donc certains découpaient leur couverture pour qu’elle soit toute petite dans le sac. Maintenant, on précise : « Une couverture de survie de X mètres sur X mètres ».

Un autre exemple : on demande que les anoraks soient à la taille du coureur. Parfois ils voient qu’on annonce du beau temps et ils prennent un anorak de la taille d’une poupée. Ce sont des petits détails qu’on ne peut même pas imaginer avant de la voir ! Depuis, on est très à cheval sur le matériel obligatoire.

« On a des points clés, tout d’abord la sécurité. »

On a également des points sensibles en montagne. À Arnouva, on sait par exemple qu’il faut être sévère si jamais la météo n’est pas bonne et que les coureurs doivent impérativement s’habiller avant de sortir du site. Il n’y a pas de discussion possible, même s’il « fait beau », on sait que dans un quart d’heure, ça va tomber. On met donc toujours des gens un peu autoritaires pour dire : « Non, tu ne veux pas mettre ton pantalon ? Tu ne sors pas. » Finalement, les coureurs nous remercient après coup.

Il y a certainement eu des réunions à Chamonix après le drame de la Chine, mais je dirais qu’on travaille comme ça depuis longtemps. On a des points clés, tout d’abord la sécurité. La sécurité en prévention, c’est-à-dire comment avertir le coureur pour qu’il ne se blesse pas, ce genre de choses.

Notre but, c’est de ne pas travailler, dans l’idée. Notre travail sur place est de réfléchir à tout ce qu’on a potentiellement mal fait, pour ne pas que ça recommence. Mais on réfléchit aussi à tout ce qu’on a bien fait – parce qu’on fait bien, très souvent – et on félicite les équipes !

Outre la sécurité, il est essentiel d’avoir le matériel adéquat pour travailler. S’il manquait de couvertures de survie une année, on fait en sorte que cela ne se reproduise plus. Il existe aussi des kits de matériel en fonction de la météo. Selon le climat et les prévisions, on dit aux coureurs de prendre le kit de chaleur ou le kit du froid. Sur la semaine, ça peut évoluer.

Au départ de la course, tous les coureurs reçoivent un SMS leur précisant le matériel obligatoire :  soit le kit de chaleur, soit le kit de froid, soit seulement le matériel obligatoire classique. Ensuite, il y a des vérifications auprès des coureurs avant le départ, effectuées par des commissaires. Tout le monde passe à la vérification quand il vient chercher son dossard. On tire au sort trois objets qu’ils doivent obligatoirement présenter !

Vous voyez ? Il y a une grande sécurité par rapport à cette course. Certains disent que ça coûte cher, mais ce n’est pas une histoire de prix, c’est une histoire de sécurité pour le coureur. Le coureur ne le voit pas forcément. Celui qui n’a pas été contrôlé ne comprend pas qu’il y a tout ça, mais la sécurité y est. D’ailleurs, je n’y travaillerais plus si elle n’y était pas.

« Je me suis retrouvée sur mon canapé à entendre en permanence à la télé : « Il manque d’infirmières, il manque d’infirmières. » Pour moi, c’était insupportable. »

La vie d’après

Effectivement, je suis à la retraite depuis 5 ans peut-être, mais ça fait des années que je dis 5 ans, donc peut-être qu’il faudrait que j’augmenter un peu le chiffre… Je suis très occupée, aussi bien par ma maison, par mes petits-enfants que je reçois toujours avec plaisir et puis, surtout, par le boulot de médicalisation des courses dans le monde entier. Donc, vraiment, je ne m’ennuie pas.

Mais bien évidemment, avec cette épidémie, toutes les courses ont été arrêtées. Je me suis retrouvée sur mon canapé à entendre en permanence à la télé : « Il manque d’infirmières, il manque d’infirmières. » Pour moi, c’était insupportable, donc j’ai commencé à travailler dans l’hôpital qui est juste à côté de chez moi, où j’ai monté quatre lits de réanimation.

Il y avait très peu de travail puisqu’à l’époque, on était sur la première vague et Avignon-Cavaillon n’était pas très touché. J’ai monté ces lits de réanimation et on a eu deux ou trois patients, c’est-à-dire peu de travail.

Ils ont réorganisé les choses et je suis partie travailler à Avignon en réanimation. Là, ça n’a pas été forcément facile. Vous vous retrouvez de 7 heures du matin à 19h30 avec des patients 24 heures sur 24. Pour aller manger, il faut retomber dans tout le matériel de réanimation. Mais bon, j’ai tenu ma place.

Après, c’était l’été et je récupérais mes petits. En septembre, le SAMU m’a appelée parce qu’ils avaient vraiment de quelqu’un qui soit opérationnel tout de suite et qui avait déjà fait du SAMU. Entre les transports Covid et les arrêts maladie, les infirmiers n’avaient pas eu de vacances de tout l’été donc ils avaient besoin de moi jusqu’à Noël.

J’ai accepté et j’ai été excessivement bien accueillie. Il n’y avait que des gens gentils, qui ne m’ont jamais mise en difficulté et qui me téléphonaient tout le temps pour s’assurer que j’étais en mesure venir. Ça a été extraordinaire., vraiment.

À Noël, ils se sont rendu compte que ça allait être très compliqué si je partais, donc ils ont cherché quelqu’un. Et oui, je n’avais prévu de refaire une carrière ! La personne qui me remplace arrive début juin pour sa formation. Je reste donc jusqu’à juin et après, je prends ma retraite, ma deuxième retraite !

Cette expérience au SAMU a été très bénéfique pour moi, parce que j’ai vu des nouvelles techniques et des évolutions. J’ai été obligée de me remettre dans les calculs de doses, de réflexion, de transports de nouveau-nés, de toute cette gestion.

« J’ai dormi dans les dunes de sable à Abou Dhabi. »

 Des courses, j’en ai médicalisées beaucoup ! Cela fait des années que je fais ça et j’ai la chance d’avoir été dans tous les pays. J’ai été en Australie mais aussi en Namibie où je me suis retrouvée avec les indigènes et comme pour Muriel Robin, ils m’ont mis de la terre rouge sur les jambes. Je me suis retrouvée en Inde, en Bolivie dans son désert de sel, beaucoup en Afrique : Burkina Faso, Cameroun, Libye. J’ai dormi dans les dunes de sable à Abou Dhabi.

J’avoue que c’est vraiment grâce à cette médicalisation que j’ai pu découvrir tous ces pays. Selon les organisations, on a parfois la chance d’avoir le temps de visiter. Il n’y a pas que la course non plus. Par exemple, à la fin du Cap Vert, on a pu se promener et on a fait des randonnées magnifiques. Ou quand on était à Chypre, on allait visiter l’après-midi. Je reconnais la chance que j’ai.

« On a une équipe de sensibilisation qui, la veille,  passe dans les villages et travaillent avec les institutrices des écoles pour expliquer ce qu’est une greffe. »

J’aimerais aussi parler d’une course que je fais une fois par an, la Course du Cœur. Elle fait la promotion du don d’organe ! Le directeur de la course monte 14 équipes de 21 personnes qui travaillent dans des grosses sociétés telles que SNCF ou Renault. Parmi les équipes, il y a en a une composée de greffés. Le but ? Promouvoir la vie sportive de ces personnes. Il y a des épreuves où un coureur peut être attaché à un greffé, par exemple. On démarre de Paris pour arriver jusqu’aux Arcs, alors certaines épreuves sont très sportives.

On a une équipe de sensibilisation qui, la veille, passe dans les villages et travaillent avec les institutrices des écoles pour expliquer ce qu’est une greffe. Parce qu’on manque de greffons. Avec le Covid cette année, c’est particulièrement dramatique, mais il faut continuer à dédramatiser le don de greffe.

C’est une course épuisante. Elle dure quatre jours : les équipes médicales font une première nuit puis on se lève à 5 heures et on se couche à minuit tous les jours. C’est épuisant, mais c’est extraordinaire de pouvoir accompagner les équipes et les greffés.

Cette année on n’a pas pu la faire en avril, on va la faire en octobre. On n’aura peut-être pas de neige en arrivant aux Arcs…

Encore une petite anecdote : Je pourrais en raconter 10 000, mais il y en a une qui me tient à cœur. C’était le 30 août 2013, une heure avant le départ de l’UTMB. Il faut savoir qu’une heure avant l’UTMB, j’ai le téléphone à droite, la radio à gauche, les antennes sur les oreilles, 100 000 personnes autour et la régulation qui donne des ordres. C’est assez compliqué.

Mon téléphone a sonné : c’était mon fils Nicolas qui m’appelait pour m’annoncer la naissance de sa petite Margaux. Là, j’avais un peu la larme à l’œil, à tel point qu’une personne à côté de moi m’a demandé si tout allait bien. Évidemment c’était bien, c’était de l’émotion ! J’ai raccroché et je suis montée à la régulation. J’ai vu Michel Poletti en premier, donc je me suis mise à sa hauteur et je lui ai dit : « Michel, je suis grand-mère. »

Je n’étais pas grand-mère pour la première fois, mais j’étais émue donc je lui ai parlé de la petite Margaux. Michel m’a regardé avec l’angoisse du départ, il était vraiment dans la course. Il m’a dit : « Ah mais alors, il faut que tu partes ? » J’ai répondu : « Non, je ne dis pas ça car il faut que je parte, je ne suis que la grand-mère. »

On n’a pas pu partager cette joie parce qu’il était dans l’angoisse et était persuadé que j’allais partir. Je l’ai rassuré, bien sûr ! Donc maintenant ma petite Margaux, je l’appelle Margaux UTMB, c’est son deuxième prénom. (Rires.)

L’autre jour, on était dans une ambulance avec le médecin et l’ambulancier et on a joué à un jeu : qu’est-ce que tu feras comme métier dans ta prochaine vie ?

L’ambulancier a dit qu’il serait pilote d’hélicoptère, le médecin a répondu qu’elle ne serait pas médecin, et moi, j’ai répondu que je serai infirmière-anesthésiste. Je ferais la même carrière.

Soignantes By Santé Académie

Merci beaucoup, Isabelle, d’avoir partagé avec nous ce moment riche en adrénaline. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode de Soignantes.
Ce podcast vous a été présenté par Santé Académie, la plateforme de référence pour la formation des professionnels de santé. Notre mission est de vous permettre de vous former tout au long de votre vie. Sur santé-académie.com, nous mettons à votre disposition un catalogue de plus de 30 formations accessibles sur mobile et sur ordinateur.
Grâce à votre DPC et votre FIFPL, vous profiterez de formations 100 % gratuites et indemnisées pour les heures que vous passerez à vous former. Alors, vous commencez quand ?

Découvrez notre catalogue de formation

Étiqueté dans :